Smart ArM : Le Cybathlon nous a changé

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« Participer au Cybathlon a transformé la façon dont nous faisons de la recherche » note Nathanaël Jarrassé, chargé de recherche CNRS à l’ISIR et manager du projet Smart ArM. Rencontre à la veille du Cybathlon Challenges 2023.

Etendre du linge, préparer un petit-déjeuner, vider un lave-vaisselle, tenir un manche de casserole, trouver des clés dans un sac… Si ces tâches paraissent simples aux valides, c’est une autre paire de manche pour les personnes amputées, équipées d’une prothèse. D’autant plus si elles doivent réaliser ces tâches en un temps chronométré, en alternant entre épreuves de minutie et de force.

Faire concourir des personnes en situation de handicap sur des tâches du quotidien: c’est tout l’enjeu du Cybathlon, une compétition internationale où se challengent les meilleurs pilotes de prothèses bioniques.

Grand vainqueur de la Arm Prosthesis Race du Cybathlon Challenges en 2022, l’équipe française Smart ArM, de l’Institut des Systèmes Intelligents et de Robotique (ISIR) s’apprête à remettre en jeu son titre lors du challenge 2023. Et se prépare déjà pour l’édition 2024, entre plein d’autres projets. Rencontre avec Nathanaël Jarrassé, chargé de recherche CNRS à l’ISIR et manager du projet Smart ArM, qui s’appuie sur des technologies maxon.

Le Cybathlon challenge 2023 démarre le 29 mars, comment abordez-vous la compétition ?

Nathanaël Jarrassé : L’année dernière, personne ne nous attendait. Nous avons surpris tout le monde en arrivant de nulle part, avec un pilote présentant le niveau d’amputation le plus élevé de la compétition et qui ne porte pas de prothèses au quotidien, alors qu’on se bat contre des pilotes osthéo-intégrés qui ont une prothèse reliée à leur squelette depuis 20 ans. Cette année, nous sommes passés d’outsider à challenger, je pense qu’on est sacrément attendus. La compétition va être rude !

Vous participez chaque année au Cybathlon ?

Le vrai Cybathlon a lieu tous les 4 ans, comme pour les JO. Le prochain c’est en 2024, mais entre chaque édition, des épreuves intermédiaires, des challenges, sont organisés. Alors que le vrai Cybathlon c’est entre 8 et 10 épreuves, sur une course d’une dizaine de minutes, ces challenges sont des éditions réduites sur 1 ou 2 épreuves.

 

En quoi consiste le challenge 2023 ?

Nous allons nous affronter sur deux épreuves :

  • La manipulation de petits objets : billes, cartes bancaires, clés…
  • La manipulation en force : il va falloir quasiment porter 8 kg d’eau d’une zone à une autre, en chargeant et déchargeant un casier.

C’est un ensemble d’épreuves très représentatives, car avec votre prothèse, il faut que vous soyez capable de réaliser des épreuves de force, comme porter des sacs de courses, mais sans avoir à changer de prothèse pour faire une activité de précision ensuite, comme rentrer une clé dans une serrure. C’est un vrai challenge, car ça met la prothèse à rude épreuve. Au-delà de la force physique, cela demande surtout de la concentration, de la finesse et de la dextérité.

En 2022, vous avez remporté le challenge sur la manipulation de petits objets. Comment vous situez-vous sur l’épreuve de force ?

Jusqu’à ce que ça casse, on n’est pas mauvais ! La manipulation de force est une épreuve intense pour la prothèse. Surtout que dans le cadre de la compétition, nous sommes l’une des rares équipes avec à avoir un niveau d’amputation très élevé, et la seule équipe avec un coude actif motorisé, avec un moteur maxon DCX. Quand on porte un sac, en mettant l’anse au niveau du coude, l’articulation du coude prend très fort. C’est le moteur maxon qui prend derrière, même s’il y a une transmission irréversible pour limiter, on met à rude épreuve le matériel.

«Cette année, nous sommes passés d’outsider à challenger, je pense qu’on est sacrément attendus. La compétition va être rude !»

 

La prothèse a évolué depuis 2020 et nos derniers échanges, quels sont les principaux points d’amélioration ?

Nous avons conçu notre prothèse en 2020. Elle a connu de grands changements en 2022, lorsque nous nous sommes équipés de la prothèse de main de la marque néo-zélandaise TASKA. En effet, nous sommes spécialistes de bras, coudes, poignets, systèmes embarqués et approches de contrôle, mais pas de préhenseurs prothétiques de main. Ce nouveau partenariat nous a permis de bénéficier d’une main plus forte, plus dextre, mais plus grosse et un peu plus compliquée à piloter. Notre pilote a beaucoup pesté, mais il a fini par se l’approprier !

Capteurs plus précis, augmentation du nombre d’électrodes, déploiement d’approches proportionnelles… Nous avons aussi boosté les performances de la prothèse, au niveau des batteries, des vitesses de rotation, des moteurs, etc. Alors que notre pilote n’avait qu’une seule vitesse de réalisation des gestes, il peut désormais contrôler la vitesse en plus du contrôle du geste.

Enfin, nous avons travaillé à mieux utiliser la prothèse, en réalisant de nombreux entraînements, pour gagner en robustesse et en capacité. Dès que Christophe découvre de nouvelles capacités, nous adaptons la prothèse pour profiter de ses nouvelles capacités : plus de signaux, plus de finesse dans le contrôle… Sans mauvais jeu de mots, Christophe et la prothèse évoluent main dans la main.

La prothèse de bras bionique de Smart ArM

Avez-vous effectué des changements au niveau de la motorisation ?

Non, nous utilisons toujours des moteurs maxon DCX sur mesure. En revanche, suite aux échanges avec les experts de maxon, nous travaillons à remplacer tous nos systèmes de cartes commandes par des cartes EPOS. Nous espérons qu’en 2024, nous bénéficierons d’un meilleur contrôle d’articulations.

Au-delà de remporter le Cybathlon, est-ce que l’objectif c’est d’arriver à un modèle de prothèse commercialisable un jour ?

Oui, le Cybathlon c’est un tremplin pour deux choses :

  • Mettre à l’épreuve nos technologies d’une situation réelle. Que ce soit nos technologies mécatroniques ou nos algorithmes de commande. Les épreuves du Cybathlon, c’est des tâches de la vie quotidienne, donc c’est un super outil de benchmarking. Depuis qu’on participe au Cybathlon, il y a des solutions qu’on ne s’autorise plus, car on sait que ça marchera en laboratoire, mais pas dans la vraie vie. Autrement dit, participer au Cybathlon nous aide à concevoir des solutions plus robustes et plus efficaces.
  • Médiatiser les possibilités de nos recherches. Le Cybathlon est une formidable vitrine pour montrer aux fabricants de prothèses que nos innovations pourraient servir dans un cadre réaliste, que ce ne sont pas que des technologies de laboratoire.

Nous sommes notamment très fiers de notre algorithme de contrôle qui exploite l’analyse des compensations motrices. Grâce à cet algorithme, notre pilote n’a pas à donner d’ordres à la prothèse : en regardant comment il compense avec son corps, la prothèse est capable de déduire le mouvement qu’il souhaite faire. C’est une technologie complètement utilisable hors du laboratoire, qui pourrait vraiment permettre de décupler les capacités des gens si les fabricants de prothèses l’intégraient à leurs technologies.

«Participer au Cybathlon a transformé la façon dont nous faisons de la recherche.»

Qu’est-ce que ça a changé pour vous de participer au Cybathlon ?

Participer au Cybathlon a transformé la façon dont nous faisons de la recherche. Nous avons développé davantage une approche de co-conception, avec des interactions permanentes avec les usagers, dans un écosystème réaliste. Nous progressons beaucoup sur les méthodes d’apprentissage de la prothèse.

En fait, apprendre la prothèse c’est un peu comme apprendre le violon. Or, nous nous rendons compte que l’une des clés dans les aides techniques, ne réside pas tant dans la technologie que dans l’apprentissage de la technologie : les aspects d’intuitivité et de charge cognitive, que nous avions peut-être négligés, sont primordiaux. Nous sommes en train de construire des méthodologies que nous espérons publier, afin de les généraliser. L’objectif serait d’avoir des protocoles pour aider les gens équipés d’une aide technique à en tirer le meilleur parti.

Dans cette optique-là, nous avons l’objectif avec notre pilote de monter un club de "cybathlétisme". . Cette structure de type association viserait à rassembler régulièrement des personnes amputées appareillées, pour qu’elles viennent avec leurs prothèses passer les épreuves du Cybathlon, se mesurer à des champions, se chronométrer, rencontrer des producteurs de technologies, d’autres usagers en situation, voir des ergothérapeutes ou des kinés… Parce que finalement ce qu’on fait dans un cadre fun au Cybathlon ressemble beaucoup à ce que l’on fait dans une salle d’ergothérapie !

Il y aussi une dimension d’émulation propre à la compétition ?

Absolument. Le côté sportif et ludique de la compétition, conjugué à l’émulation entre pairs, joue un rôle fondamental dans la motivation et l’attractivité de ces sujets. Nous avons d’ailleurs un retour très positif des ergothérapeutes qui réalisent que l’emballage « compétition et épreuve chronométrée », rend la réalisation d’exercices que les patients amputés rechignent d’ordinaire à faire beaucoup plus motivante.

Quels sont vos autres projets en cours ?

L’équipe Smart Arm va se dédoubler pour 2024 ! L’idée ce n’est pas d’avoir deux équipes séparées, mais bien la même équipe, s’appuyant sur des technologies de commande similaires et participant à deux épreuves différentes :

  • ARM : la Arm Prosthesis Race, avec Christophe Huchet, notre pilote historique né avec une agénésie de l’avant-bras droit, utilisant notre prothèse.
  • ROB : l’Assitance Robot Race, avec Etienne Moulet, notre nouveau pilote tétraplégique, utilisant un bras robot embarqué sur fauteuil roulant.

Dans les évolutions de nos recherches, nous nous sommes rendu compte que plusieurs blocs d’innovation sur la commande de prothèse pouvaient avoir des intérêts dans d’autres domaines. Le concept d’une prothèse qui réagit au mouvement du corps, peut en effet être adapté à un Cobot réagissant au mouvement d’un ouvrier avec qui il collabore, ou à quelqu’un en fauteuil roulant souhaitant utiliser ce bras monté sur sa chaise comme un troisième bras ou une extension de son bras dont il n’a plus l’amplitude complète.

Enfin, de grands changements pourraient bien survenir dans les prochaines années à venir…

C’est-à-dire ?

Nous sommes en train de monter une équipe de recherche interdisciplinaire rassemblant une dizaines de partenaires techniques et SHS pour travailler autour d’un projet intitulé «Réinventer la prothèse» grâce à un financement PEPR (l’organisme de financement du Plan France 2030). Nous allons travailler sur des aspects mécatroniques, commande et retour sensoriel, en impliquant des personnes amputées et des chercheurs en SHS pour aller plus loin et proposer des solutions innovantes. Bref, nous allons nous autoriser à tout repenser. Il est donc fort possible que la prothèse évolue beaucoup dans les années à venir.

On espère pouvoir aboutir à une prothèse légère, rapide, souple, qui se comporte comme un bras humain. Cela ouvrirait des possibilités de contrôle de sa prothèse très différentes, beaucoup plus naturelles. Le rêve ce serait de coordonner la prothèse avec un corps qui danse ou qui fait du sport. Ce sont des dynamiques très élevées, qui jusqu’ici sont difficiles d’accès !

Interview de l'équipe Smart ArM suite à la participation Cybathlon Challenges 2023 :